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(Toutes les photos peuvent être agrandies.)
Du grand Prieuré Hérival il ne reste que le "Logis des hôtes".
A l’intérieur du "Logis des Hôtes" il ne subsiste plus que quatre salles plus ou moins d’origine dont l'ancienne cuisine qui n’a jamais été améliorée depuis que nous avons acheté le Prieuré en 1971.
Cette salle n’a sans doute jamais été transformée depuis plus d’un siècle, depuis que les parents à Violette Durupt puis elle-même y ont habité jusqu’en 1971. Ce fut toujours leur cuisine sommaire avec un fourneau à quatre pots.
Gilémon et sa famille vont s’y installer en 2012. Nous aménageons sa cuisine pour quelques années en attendant que la famille passe dans leur futur appartement, de l’autre côté de ce même bâtiment, au sud, un grand espace vide pour l’instant mais potentiellement génial.
Rien n’est simple dans cette grande pièce.
Le "Logis des hôtes" date de 1740 environ, la cuisine date sans doute aussi du XVIIIe siècle, était-ce une cuisine à l’origine ? Pas certain.
Il a du y avoir de grosses restructurations au cours de son premier siècle d’existence, juste après la Révolution, essayons d’y voir plus clair.
Le chambardement des "meubles".
1- Un four à pain été installé à l’intérieur de la cuisine après la démolition des bâtiments d’habitation des moines (1802) puisqu’il est monté sur le dallage avec des belles pierres roses d’extérieures. De plus une partie du grand linteau de la cheminée actuelle est enfermée dans le four.
2- Face à la grande cheminée actuelle nous avons découvert les traces d’une autre grande cheminée qui a été cisaillée dans le mur qui fut crépi à la chaux. C’est en enlevant ce crépi que sont réapparus les traces de fumées sur le mur. Cette ancienne première cheminée rend la compréhension de cette pièce presque impossible… nous ne savons pas comment cette ancienne cheminée a pu atteindre le haut du toit, il ne reste aucune traces extérieure. Elle a pourtant existé !
3- Dans le plafond intégré au mur, il reste un "balcon anti feu" en pierres pour l’âtre de la chambre du dessus. C’est une avancée en pierres, un voutain à légère courbe, de 70 centimètres en surplomb qui se voit bien du dessous puisqu’il empiète sur le plafond à la française.
4- On a aussi remarqué qu’anciennement la porte d’entrée était à la place de l’arrière du four. Sans doute, lorsqu’ "ils" ont décidé d’installer un grand four à pain à l’intérieur, pour profiter de la cheminée, il a fallu changer la porte de place, quel travail !
Ceci dit, il est logique qu’en deux siècles et demi cette grande pièce ait pu vivre des gros changements.
La découverte la plus surprenante est sous le crépi à la chaux poilue.
L’enduit de la cuisine a beaucoup souffert il est lézardé, il est vacillant, il s’écaille, s’effrite, le salpêtre s’y est mis par endroit, les pierres se descellent. Ce crépi est composé de chaux et de sable, les "anciens maçons" y ont ajouté du poil d'animal, des fibres incorporées comme les super mortiers tout prêts d’aujourd’hui.
Cependant, tous les crépis de cette grande cuisine ne sont pas faits de cette manière.
Nous étions donc bien décidé décrépir tous les murs pour consolider les pierres entre elles avec du bon mortier d’aujourd’hui, certaines pierres nous sont apparus cisaillées par des portes à faux, la chaux ne faisant plus office de lit bien plat comme le mortier solide d’aujourd’hui.
Georges* enlève quelquefois 4 cm d'épaisseur en un seul coup de marteau, il n'y a pas vraiment réfléchir, il faut frapper. C’est un garçon costaud il manie le lourd marteau pointu et il tape dare-dare sur tous les enduits fragiles.
Nous avons des masques à poussière, nous mouillons le mur le mieux possible, nous sommes concentrés sur notre travail.
Georges* venait de dégauchir presque 50 cm en fermant les yeux, tant c’est facile de faire tomber cette couche de chaux. Il était passé comme un bourrin au gallot.
En relevant la tête sur la gauche un peu comme en plongeur en apnée il pousse un cri d'affolement, je suis à ses côtés plus à gauche, je regarde son expression, je ne comprends pas, il me désigne du doigt ce qu’il vient de discerner…
Une tête sculptée !
C'est bien Georges* qui a découvert le visage, la tête.
Une tête sculptée engoncée dans la chaux, insérée entre les pierres, une pierre de maçonnerie presque cubique, une pierre presque comme les autres, un peu plus petite, 15X15cm, en grès fin blanc mais c'est un visage, un beau visage qui vient d’être démasqué. Dans un premier temps, les traits sont grossiers, en-chaulés. Je ne distingue pas de traces de peinture, on ne voit donc pas les détails des paupières, encore moins ses pupilles.
Il a été aveuglé un siècle ou deux par 4 cm à 6 cm de chaux depuis le XVIIIe siècle date de la construction de ce bâtiment.
C’est une preuve que ce mur a aussi été construit avec des matériaux de récupération ce dont je n’étais pas certain, sans doute une belle pierre de la première église du Prieuré d'Hérival ?
En fonction de la coupe de cheveux, de la précision de la taille, je pense que l'on peut pratiquement être certain que cette sculpture date du XVe alors que le mur a été construit aux environs de 1740.
Qui a placé cette tête à cet endroit ?
On peut penser qu'un maçon… sans scrupule ? Sans scrupules puisqu'il maçonne avec une tête ! Le nez est un peu raboté…
Au dernier moment, il aurait tout de même eu quelques scrupules et il aurait placé la tête côté intérieur donc possible à découvrir ?
Je ne pense pourtant pas que ce soit un maçon ou une autre personne intentionnée qui ait placé cette tête pour lui donner une autre raison d’exister. Ce n’est pas la première belle pierre sculptée que nous trouvons lors de travaux.
Nous avons déjà trouvé la partie inférieure d’un Saint guerrier en toge et en armure. Le pied a été cassé pour rendre ce bloc plus parallélipédique afin de mieux l’insérer maçonné dans le mur. La lance et la main ont été arasées, la sculpture en grès blanc est peinte d’un bel ocre jaune orangé. Nous possédons aussi le pied du cerf en grès blanc qui était placé au bout du verger devant le bâtiment des moines au sud. Un dessin indique qu’un cerf était placé à cet endroit.
Et bien d’autres éclats, morceaux, fragments plus ou moins intéressants.
Médusés, nous l’étions.
Par absurdité, et pour rire, Georges et moi (Gilbert) nous avons pensé que toutes les autres pierres décrépies étaient aussi des pierres sculptées, qu'il y avait une tête sur chacune des autres pierres, mais que les têtes avaient été placées dans l'autre sens, et que seule la pierre que nous venions d’exhumer nous présentait son visage, dans le bon sens pour nous.
Cela nous a plu de le croire un instant.
Nous n'avons pas vérifié, nous aurions peut-être du le faire !
La découverte, fut un instant magique, rare...
* Georges est un garçon qui se fait de l'argent de poche en nous aidant à nos travaux pour mener à bien sa vie de comédien.
C'est le troisième portrait que nous trouvons en 15 ans de restauration dans ce qui reste du Prieuré d'Hérival ; une belle pierre en grès rose trouvée au fond d’une fosse, un dessin à la sanguine trouvée derrière une boiserie et celle-ci de style gothique.
La première est plutôt de facture carolingienne, celle que nous venons de découvrir fait penser à celles que l’on trouve sur le portail de Chartres, le dessin du bonhomme à la redingote est du XVIIIe.
Difficile de remettre de l’ordre, il y a plus de cinq siècles de construction, de transformation qui se télescopent dans les différentes constructions qui ont été érigés et détruites sur ce site.
Il est important de consolider les murs d’un mortier très solide, les pierres sont trop disjointes et quelques fois prêtent à tomber.
Que va devenir cette tête ?
Nous décidons de laisser cette tête là où elle est, elle est sans doute beaucoup plus en sécurité là où elle est. Elle est bien intégrée, bien insérée, bien coincée entre les autres pierres, nous ne devons pas toucher à cet acte iconoclaste du XVIIIe et ne pas nous ériger en archéologue moraliste du XXIe en extrayant cette tête pour la mettre sur un piédestal, dans une vitrine qui risque d'être brisée dans quelques décennies.
J’ai moulé en bandes plâtrées cette tête avant et après un nettoyage méticuleux, le masque négatif, concave, très précis, sera placé à gauche de l’original comme si par une charnière l’homme s’était débarrassé de son masque.
Sur la photo jointe, l’impression est que les deux visages sont concaves, ce qui n’est pas le cas !
Sur le masque il y a quelques traces de rouge brique, ce fut la couleur d’origine, puis il a eu quelques couches de badigeon blanc.
Le savon placé pour le moulage a révélé les pupilles par un miracle que je n’explique pas ; une différence de matière qui s’est vu par humidité ? La photo le montre très bien.
Quel prénom ?
Je pense que ça pourrait être une bonne idée de lui donner un prénom. Un prénom et un nom chic ?
... ça sera Georges d'Hérival !
ça donnerait ça...
Une tête à Chartres.
Une tête à Autun.
à suivre.