Phare’Fouilles à l’ancien Prieuré d’Hérival
27 novembre 2016.
Je viens d’exhumer trois fûts (ou tambours ) de colonnes.
Les uns à côtés des autres, cassés, ébréchés, placés dans le sens de leur longueur. Ils ont été placés là pour base d’un mur de plus d’un mètre de haut.
Belle découverte mais, pas de quoi fouetter un moine ou un révolutionnaire…
Les moines sont au prieuré d’Hérival jusqu’en 1789.
Retour en 1802.
Regardez le plan du XVIII.
Ces trois pierres proviennent de deux édifices de l’ensemble du Prieuré démoli et démonté en 1802.
Elles peuvent provenir de l’église ou du bâtiment d’habitation des moines, c’est difficile à déterminer pour l’instant.
Le bâtiment d’habitation est de type XVIIIe, donc classique à angles droits, or ces trois gros morceaux de colonnes engagées retrouvés sont des morceaux d’arcades de l’église.
L’église est encore sur pied en 1789, elle est sans doute de construction gothique.
En 1802, tous les amateurs de constructions se ruent au Prieuré avec char à bœuf, tout est à un euro ! Les deux bâtisses sont des mines de matériaux. Les amateurs démontent et se fournissent comme aujourd’hui chez Bigmat ou autres magasins de matériaux de construction.
Que font-il des parpaings qui ne sont pas emportés et impropres à la construction : cassés, ébréchés, trop ronds, trop lourds, trop sculptés ?
Tout est bazardé à la brouette en contrebas au bout du verger.
En 1802, le verger sur le plateau se finit par un élégant mur qui surplombe la vallée : cinq à six mètres de haut, cinquante mètres de long.
Au bout de ce mur le terrain est très en pente, 50 mètres en contrebas on voit le ruisseau appelé Combeauté.
Pour éviter aux débris de rouler jusqu’au ruisseau, le propriétaire ou les démolisseurs ont élevé un mur de soutènement à la hâte en contrebas, à cinq ou six mètres du beau mur du verger.
Ce second mur de soutènement d’urgence est érigé sans professionnalisme sur soixante mètres de long et deux mètres de haut.
Aujourd’hui, il est écroulé sur plus de sa moitié, l’ensemble encore debout penche.
Toutes les pierres de la base sont cyclopéennes, disons 80 kilos. Les trois grosses pierres déterrées aujourd’hui forment un rang d’un mètre de la base de ce long mur qui retient le vrac des pierres sur plus de cinq mètres de largeur.
Entre ces deux murs, progressivement les pierres se sont accumulées jusqu’à former un prisme de remblai, par la suite l’herbe a poussé sur cette pente du prisme.
Que les pierres biscornues aient été jetées par dessus le mur du verger est une hypothèse vraisemblable, mais rien n’est écrit, ce ne sont que des suppo-sitions d’observation minutieuses.
Les pierres parallé-lépipédiques, les poutres, les fenêtres, grilles et bien d’autres matériaux sont convoyées pour construire ou améliorer des maisons, des hangars ailleurs, on ne sait pas bien où elles sont allées.
Un exemple. Il y a des belles pierres visibles à la ferme de Montégu entre La Demoiselle et Plombières à six kilomètres à vol d’oiseau du Prieuré.
Dans cette ferme, il y aussi les deux grilles du Logis des Hôtes.
Auscultez la photo des grilles rouillées.
Elles prennent les ronces et les orties dans le parc. Le propriétaire ne veut pas nous les vendre pour 500€. Nous ne voulons pas mettre plus d’argent dans cette affaire. Ce serait aussi un gros travail de remontage.
Description
Deux pierres ont un diamètre de presque quarante centimètres, la troisième plus fine n’a que 20 centimètres de diamètre. Elles sont longues de cinquante centimètres, elles sont ébréchées ou cassées.
Ces éléments de colonnes sont en gré rouge à gros grain.
Le badigeon
On distingue très bien des restes de peinture faite au badigeon qui ne résistent ni au lavage ni à la pluie.
C’était donc une peinture d’intérieur pour une chambre ou une nef ou narthex, on ne peut pas savoir exactement pour l’instant.
J’émets cette idée parce que la peinture a résisté à deux siècles d’enfouissement dans ce mur. C’est une preuve pour moi que ces pierres cylindriques ont été placées là immédiatement après leur démolition.
Elles n’ont jamais été exposées, stockées sous la pluie sinon, elles n’auraient plus leurs couleurs vives.
Sur une des grosses pierres la peinture blanche sur une couche plus ancienne de gris ne couvre que la moitié supérieure ou inférieure du tambour. Etait-elle enterrée à moitié?
Pourquoi ces pierres boudins n’ont-elles pas été emportées par les paysans maçons ?
Sans doute parce qu’elles n’étaient pas parallé-lépipédiques, leurs rondeurs ne pouvaient pas être facilement intégrées à un mur classique de maison.
Stockées dans cette pente elles remplissaient leur fonction de rempart pour le vrac placé derrière.
20 novembre 2016.
Deux jours plus tard en piochant tranquillement pour le plaisir, si, si, c’est passionnant, je découvre encore deux autres morceaux de colonne engagée, donc cinq au total.
Les couleurs ocre jaune et ocre rouge sont encore plus vives que sur la première de cette série au diamètre de 20 centimètres.
Trois morceaux susceptibles de s’assembler.
Nous ferons des essais lorsqu’elles seront sorties de là.
Pour vérifier l’assemblage, même au sol, il faudra quelques costauds.
Ces deux morceaux sont colorés à l’ocre jaune et rouge, les couleurs sont plus vives que sur la première de cette série de trois, il y a peut être eu un motif bicolore, ce n’est pas possible de l’affirmer. Par dessus ces couleurs juxtaposées ou superposées, il y a eu une peinture blanche plus épaisse, il en reste quelques petites zones.
Aussitôt que la première pierre s’est retrouvée au soleil, les couleurs ont séchées et elles ne se voient pratiquement plus, c’est assez incroyable, je suis le seul à avoir vu la vivacité de cet ocre rouge et jaune, quel dommage ! Du coup, j’ai laissé les deux suivantes à l’humidité et à l’ombre.
Je pense à Fellini Roma de Fellini, à un moment du film une équipe d’archéologues découvre une vaste salle de peinture romaine et puisqu’ils ont ouvert, désoperculé la salle, tout disparaît en un instant, bon, c’est un film…
Août 1972.
Cette découverte de remarquables pierres de colonne n’est pas la première (nov 16) Déjà en 1972 Jean-Guy qui creusait seul le canal pour l’alimentation de la future turbine hydroélectrique, découvre dans la terre quelques fûts de toute beauté ce qui l’enthousiasme à continuer.
Toutes ces pierres entières ou en éclats, glanées au fur et à mesure des années et au hasard de nos travaux sont présentées sous notre fontaine sur de solides étagères.
Il y en a une dizaine de grosses et lourdes, la plus grande partie est constituée d’éclats bien ciselés. Pour nous ce sont des trésors !
Forcément, nous habitons ici depuis 45 ans, nous nous sommes pris au jeu des découvertes, nous sommes devenus accro à ce lieu, à ses origines, à ses énigmes.
Grès rose ou blanc
Toutes ces découvertes éparses ne nous permettent pas de comprendre l’ensemble architectural (église et bâtiment d’habitation) encore moins de savoir de quelle période était l’église.
Je me demande même s’il n’y en pas eu deux qui se sont succédées au même endroit, la première ayant servi de matériaux de récupération pour la deuxième et autres constructions, c’est très compliqué. Nous trouvons des pierres en grès blanc et en grès rose.
Le grès blanc fin, ne provient pas d’ici, c’est certain, il n’y en a pas, le rose peut être taillé à proximité dans la forêt, c’est possible.
Les tambours de colonnes peuvent être roses ou blancs, c’est curieux. La plupart sont roses. On dit rose, plus exactement, gris ocre rouge.
Le choix rose ou blanc n’avait peut-être pas d’importance puisqu’ils étaient peints.
Y a-t-il eu deux églises successives ? Une plus rouge et l’autre plus blanche ?
Détail énigmatique. Dans le bâtiment appelé « Logis des Hôtes » en rénovant la cuisine, nous avons trouvé dans le mur une superbe petite tête de style Chartes.
Or ce bâtiment a été construit en 1740 environ.
Ce n’est qu’en 1802 après la Révolution, quand les biens sont devenus Biens Nationaux que l’église est démontée pierre par pierre. La tête serait une pierre de récupération de la première église d’avant 1740 ?
Je ne suis pas convaincu par cette hypothèse, puisque certaines pierres de grès gris rose présentées sur nos étagères sont sculptées dans un style assez fruste, mérovingien, carolingien, voir roman ; il y a de tout.
Bon ok, il peut y avoir du retard dans les avancées stylistiques et techniques dans l’Est. Pas vraiment puisque la crypte de Remiremont qui date de 1050 est une des premières voûtes d’arêtes. Elle est sur la liste du renouveau de la voûte enterrée le long de la Moselle avec Charlemagne.
Inspecter la photo de la crypte.
La collection
Plus de quarante ans après les premières découvertes de Jean-Guy, on commence à posséder une petite collection et pourtant jamais nous n’avons fait de fouilles systématiques.
C’est presque certain que nous trouverions des belles pierres taillées ou sculptées derrière ce mur de soutènement presque écroulé.
Revoyez le croquis.
Grosse entreprise !
Puisqu’il faudrait déblayer des centaines de mètres cubes de terre et de pierres, les trier, les classer avant de commencer un gigantesque puzzle de recons-truction en 3D et sans doute être déçu tant il manquerait de morceaux emportés et placés dans les murs de maisons des environs.
Dans les environs, mais aussi dans notre habitation qui n’existait pas en 1802. Notre aile Sud est entièrement constituée de pierres de récupération. Fréquemment, lors de travaux nous avons découvert des belles pierres et notamment la partie inférieure d’un saint guerrier, sans doute saint Georges.
Le Logis des Hôtes a échappé à la démolition, il n’a pas été détruit, il a été transformé en ferme avec grenier et étable, c’est une autre histoire…
GilbR